Olivier Reisinger 2017-2019

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Les multiples interactions derrière le duo Diane-Aristoloche

Espèces n°41, sept.-nov. 2021

La revue Espèces n°41 (sept.-nov. 2021) a publié un article sur la pollinisation de l'aristoloche Aristolochia rotunda. Il existe aussi une étude (en anglais) publiée dans New Phytologist (Oelschlägel & al., 2014) plus approfondi sur le sujet (voir les sources de mes affirmations et les liens en fin d'article).

On apprend que la plante hôte du papillon Diane (Zerynthia polyxena) est "vénéneuse". Elle produit un acide aristolochique qui dissuade les prédateurs de la consommer. Sauf la chenille de la Diane, capable de produire une enzyme rendant cet acide inopérant. Mieux, la chenille, et même la Diane adulte, cumulent l'acide aristolochique et bénéficient de son pouvoir protecteur anti-prédateurs. Les couleurs et "pics" de la chenille, ainsi que les couleurs de la Diane, sont des panneaux de signalisation "attention, danger, ne pas manger".

La consommation involontaire d'acide aristolochique peut arriver chez l'humain et provoquer des insuffisances rénales. Il y a le cas d'un médicament chinois (cachets amincissants) fait avec une aristoloche asiatique au lieu de la plante originale (erreur de plante médicamenteuse, comme quoi ce qui est "naturel" peut être dangereux) qui valut une vague d'hospitalisation en Belgique dans les années 1990.

L'acide aristolochique est aussi fort soupçonné d'être la cause d'une vague d'insuffisances rénales dans les Balkans dans les années 1920-1930. Les céréales à la base de la consommation humaine auraient été "polluées" par de l'aristoloche dans les champs et l'acide aristolochique se serait retrouvé dans les farines par exemple.

En plus de fournir la nourriture à la Diane, notre Aristolochia rotunda lui offre un bouclier chimique. Double bénéfice pour notre papillon patrimonial des zones humides du Sud-Est de la France.

Il y a un autre aspect intéressant chez A. rotunda, sa pollinisation. La Diane n'y joue aucun rôle. Cette pollinisation est dite pollinisation kleptomyophile. (myo = mouche). L'Aristoloche A. rotunda utilise les services d'une mouche kleptoparasite de la famille des Chloropidae. Ces mouches se nourrissent de restes de proies (punaises de la famille des Miridae) consommées par les prédateurs (Mantes, Araignées par ex). Les proies consommées les attirent en émettant certains volatiles.

Les fleurs d'Aristolochia rotunda sont capables d'imiter cette odeur (mimétisme olfactif) de punaises prédatées. Les mouches se trouvent alors piégées dans les fleurs sans trouver le "dîner" convoité. Prisonnières, elles doivent attendre que le pollen des aristoloches soit disponible pour que, libérées, elles puissent le transporter vers d'autres aristoloches et assurer leur reproduction sexuée et croisée. Un point pour l'aristoloche. Mais la mouche ne fait que perdre du temps dans cette histoire.

Au fil de ces interactions on comprend que, pour qu'une espèce comme la Diane soit présente et viable, il faut des plantes hôtes (Aristolochia rotunda), des mouches clepto-parasites, des punaises et leur cortège de prédateurs. Et aussi, il faut tous les milieux permettant l'existence de ce petit monde. Et les araignées, par exemple, si mal aimées, jouent leur rôle dans cette imbrication biologique. Un rôle positif et indispensable.

Sources

  • "Étonnantes aristoloches", Christine Dabonneville, Espèces n°41, sept.-nov. 2021.
  • "The betrayed thief – the extraordinary strategy of Aristolochia rotunda to deceive its pollinators", Birgit Oelschlägel, Matthias Nuss, Michael von Tschirnhaus, Claudia Pätzold, Christoph Neinhuis, Stefan Dötterl, Stefan Wanke, New Phytologist (2014). https://doi.org/10.1111/nph.13210